Dans une réponse écrite dont la réponse a été publiée le 10 décembre 2019, le ministère de la justice précise comment il entend encadrer juridiquement la blockchain, lui donner une définition et une force probante légale :
… la valeur probante ” sera appréciée par le juge conformément au droit commun de la preuve. Notre droit permettant d’appréhender de manière satisfaisante les questions probatoires soulevées par les chaînes de blocs, il ne nous paraît donc ni nécessaire, ni opportun de créer un cadre légal spécifique. Par ailleurs, la fiabilité des blockchains est dépendante de l’absence de faille dans le code informatique (plusieurs cas de détournements de crypto-monnaies ont déjà été observés) et de l’évolution des connaissances en matière de cryptographie. Au surplus, rien ne permet de s’assurer de la véracité d’un élément inséré dans une blockchain : seule la date de l’insertion et l’identité du document produit par rapport à la trace conservée dans la blockchain sont garanties par ce procédé. Enfin, elle ne peut être assimilée à un acte authentique, en ce que l’officier ministériel participe à l’élaboration de l’acte authentique, garantissant dans une certaine mesure sa validité, son absence de contrariété à l’ordre public ainsi qu’aux droits des tiers, ce qui n’est absolument pas assuré par les blockchains.”
Il est en outre confirmé que la blockchain ne peut être assimilée à un acte authentique.
” Ainsi l’authenticité, telle que définit par le code civil, est obtenue par l’intervention d’un officier public délégataire d’une parcelle de l’autorité publique. Elle relève du monopole des officiers publics. L’authenticité ainsi octroyée permet de placer le contenu de l’acte qui en bénéficie au sommet de la hiérarchie des modes de preuve dits parfaits.
Au contraire, l’authentification au sens technique consiste à garantir le lien qui existe entre une signature électronique délivrée par une personne déterminée et le message qu’elle accompagne. L’authenticité « technique » d’un document électronique est quand a elle assurée par l’apposition d’une signature électronique cryptographique qui rend la falsification tant du contenu signé que de la signature elle même impraticable sans que cela ne soit détectable.”
Le même raisonnement s’applique en matière de blockchain.
Ministère interrogé > Numérique
Ministère attributaire > Justice
Question publiée au JO le : 30/07/2019 page : 7052
Réponse publiée au JO le : 10/12/2019 page : 10774
Date de changement d’attribution: 03/09/2019
Texte de la question
M. Daniel Fasquelle attire l’attention de M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique, sur les dispositifs d’enregistrement électroniques partagés (DEEP). Conformément à ses déclarations, le Gouvernement envisage de poursuivre une régulation intelligente des « DEEP » communément appelés blockchain. Alors que des efforts en ce sens ont été remarqués avec le vote définitif des articles 26 et 26 bis B de la loi PACTE le 11 avril 2019, qui définissent et encadrent les offres publiques de jetons via la technologie blockchain, force est de constater que ce texte laisse subsister certaines zones d’ombre. Le mécanisme des blockchains permet de sécuriser des transactions via une authentification des échanges par les autres opérateurs du marché selon une méthode de consensus algorithmique. Cette technologie investit tous les secteurs professionnels (finance, santé, assurance, énergie, logistique) et ne connaît aucune frontière. La technologie blockchain est scientifiquement attestée et réputée inviolable. Beaucoup d’États étrangers ont déjà encadré cette pratique en reconnaissant sa valeur légale. De son côté, la France reste en retrait. En effet, ce mécanisme n’est toujours pas reconnu comme preuve en cas de conflit devant les tribunaux. Il devient urgent de prendre toute la mesure de la révolution technologique blockchain. La blockchain peut devenir un instrument de sécurité juridique des transactions et des échanges si le Gouvernement reconnaît sa valeur légale de preuve. Il souhaite savoir comment le ministère de l’économie et des finances entend encadrer juridiquement la blockchain, lui donner une définition et une force probante légale.
Texte de la réponse
La blockchain ou chaîne de blocs, technologie de création et de gestion de bases de données sécurisées, décentralisées et réputées infalsifiables, est l’une des déclinaisons des dispositifs d’enregistrement électroniques partagés. Elle combine trois technologies relativement anciennes à l’échelle d’Internet : la cryptologie, les bases de données et le pair-à-pair (peer-to-peer). Son utilisation suscite depuis quelques années un intérêt croissant et de nombreux acteurs privés comme publics expérimentent cette technologie pour apprécier ses apports notamment en matière de création d’actifs, de certification, d’horodatage et de création de contrats à exécution automatique (smart contracts). Il convient de rappeler que la France a eu un rôle relativement précurseur dans l’intégration de cette technologie à son système juridique. En effet, l’ordonnance du 28 avril 2016 n° 2016-520 relative aux bons de caisse dispose, dans son article 2, la possibilité d’inscrire l’émission et la cession de minibons dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opérations. Or, en 2016, peu d’Etats avaient inscrits dans leur ordonnancement juridique cette technologie. Depuis lors, la France a chaque année enrichi le corpus de ses textes juridiques prenant spécifiquement en considération les technologies de type blockchain : l’ordonnance n° 2017-1674 du 8 décembre 2017 relative à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers, le décret n° 2018-1226 du 24 décembre 2018 relatif à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers et pour l’émission et la cession de minibons et la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi PACTE. En matière probatoire, si aucun texte juridique ne mentionne spécifiquement la blockchain, il n’en résulte pour autant aucun vide juridique. En effet, le code civil pose le principe de la liberté de la preuve des faits juridiques (article 1358) et des actes sous signatures privées, dont le montant est inférieur à 1 500 euros (article 1359). En outre, si un écrit est nécessaire pour les contrats dont l’enjeu est supérieur à ce montant, le code civil pose un principe de non-discrimination de l’écrit électronique par rapport à un écrit sur support papier (article 1366), dès lors que peut être identifiée la personne dont cet écrit émane et que celui-ci est établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité. La preuve des obligations est également libre entre commerçants en application de l’article L. 110-3 du code de commerce. Par conséquent, les preuves issues des chaînes de blocs peuvent aujourd’hui être légalement produites en justice. Il appartient au juge d’évaluer leur valeur probante, sans que celui-ci ne puisse les écarter au seul motif qu’elles existent sous forme numérique. Dans les cas où une preuve par écrit est imposée, la technologie blockchain peut répondre à certaines des exigences réglementaires posées en la matière. Le règlement européen n° 910/2014 du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur, dit règlement eIDAS, impose, pour bénéficier d’une présomption de fiabilité en matière de signature et d’horodatage, qu’il soit fait usage d’un tiers de confiance, ce que cette technologie ne prévoit pas. Pour autant, cela ne signifie pas que les signatures électroniques et autres inscriptions utilisées dans les chaînes de blocs – qui peuvent recouvrir des réalités techniques et obéir à des règles de gouvernance très variées selon le type de chaînes en cause – sont dépourvues de valeur probante mais seulement qu’elles ne bénéficient pas de cette présomption. Leur valeur probante sera appréciée par le juge conformément au droit commun de la preuve. Notre droit permettant d’appréhender de manière satisfaisante les questions probatoires soulevées par les chaînes de blocs, il ne nous paraît donc ni nécessaire, ni opportun de créer un cadre légal spécifique. Par ailleurs, la fiabilité des blockchains est dépendante de l’absence de faille dans le code informatique (plusieurs cas de détournements de crypto-monnaies ont déjà été observés) et de l’évolution des connaissances en matière de cryptographie. Au surplus, rien ne permet de s’assurer de la véracité d’un élément inséré dans une blockchain : seule la date de l’insertion et l’identité du document produit par rapport à la trace conservée dans la blockchain sont garanties par ce procédé. Enfin, elle ne peut être assimilée à un acte authentique, en ce que l’officier ministériel participe à l’élaboration de l’acte authentique, garantissant dans une certaine mesure sa validité, son absence de contrariété à l’ordre public ainsi qu’aux droits des tiers, ce qui n’est absolument pas assuré par les blockchains.