Objet : Réforme de la procédure administrative d’évacuation forcée en cas de « squat ».
Réf. : Article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale ; article 73 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique.
Si elles restent peu fréquentes, les situations de squat privant de leur domicile les propriétaires génèrent des situations particulièrement précaires pour les victimes, et inacceptables dans un État de droit.
Afin de mieux protéger le droit de propriété face à de tels comportements frauduleux, la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique a complété les dispositions relatives à la procédure d’évacuation forcée prévue à l’article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (dite « loi DALO »). Ainsi, les nouvelles dispositions qui en sont issues visent à élargir son champ d’application, et à simplifier et accélérer la procédure administrative d’évacuation forcée en cas d’occupation illicite du domicile d’autrui par un tiers qui s’y est introduit et maintenu à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte. Elles sont destinées à rendre sa mise en œuvre à la fois plus simple et effective pour les personnes qui en sont victimes.
Le Gouvernement s’est engagé, lors des débats parlementaires à veiller à l’efficacité et à la rapidité de cette procédure. Il est impératif que vous fassiez preuve d’une particulière diligence et de bienveillance dans l’examen des demandes dont vous êtes saisis.
La procédure de l’article 38 de la loi DALO constitue une procédure d’exception par rapport à la procédure prévue par l’article L. 411-1 du code des procédures civiles d’exécution selon lequel l’expulsion de l’occupant d’un logement ou d’un lieu d’habitation ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire, et après signification d’un commandement de quitter les lieux.
Elle permet au préfet, après mise en demeure de l’occupant, de procéder à l’évacuation des personnes s’étant introduites et maintenues dans le domicile d’autrui, sans recours préalable au juge sous réserve de la réunion de certaines conditions.
Les nouvelles modalités d’engagement et de mise en œuvre de cette procédure administrative d’expulsion sont détaillées ci-dessous.
1. Les conditions d’engagement de la procédure administrative d’évacuation forcée
1.1. Champ d’application
Le champ d’application de cette procédure est défini par la réunion de deux conditions cumulatives :
a) L’introduction et le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte : ces termes sont identiques à ceux de l’article 226-4 du code pénal relatif aux délits d’introduction frauduleuse dans le domicile d’autrui et de maintien dans le domicile d’autrui à la suite d’une introduction frauduleuse ; ils doivent être interprétés dans le même sens dès lors qu’un dépôt de plainte préalable constitue une condition de recevabilité de la
demande d’évacuation forcée.
En revanche, contrairement à ce délit, les conditions d’introduction et de maintien sont cumulatives : cette double condition fait obstacle à l’utilisation de cette procédure afin de procéder à l’évacuation forcée d’occupants dont seul le maintien dans le logement est irrégulier, tels des locataires dont le bail aurait été résilié.
b) Une intrusion dans le domicile d’autrui : la loi précitée du 7 décembre 2020 a précisé que la notion de domicile ne se limitait pas à la résidence principale. Par conséquent, la procédure de l’article 38 de la loi DALO peut être mise en œuvre afin de procéder à l’évacuation forcée du ou des occupants d’un domicile qui ne constituerait que la résidence secondaire ou occasionnelle du demandeur ou de la personne dans l’intérêt et pour le compte de laquelle il agit.
La notion de domicile doit être entendue ici au sens de la jurisprudence pénale amenée à statuer sur l’application de l’article 226-4 du code pénal, et non au sens du droit civil : il s’agit du « lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux »
. La Cour de cassation considère en effet qu’il n’y a pas lieu d’effectuer une distinction entre l’habitation effectivement occupée au moment des faits et celle qui est momentanément vide de tout habitant.
L’occupation effective au moment de l’intrusion n’est donc pas requise dès lors que le local comporte les éléments minimaux, notamment mobiliers, nécessaires à l’habitation et qu’il puisse
1 Crim., 22 janvier 1997, pourvoi n° 95-81.186, Bull. Crim., n° 31
servir à tout moment de refuge à celui qui dispose de droits sur lui. En revanche, la procédure
n’est pas applicable lorsque le local est destiné à un autre usage que l’habitation (hangar, etc.).
1.2. Forme et contenu de la demande
Le préfet ne peut agir que sur demande.
Outre la personne dont le domicile est occupé de façon illicite (propriétaire, locataire ou titulaire d’un droit d’occupation), l’article 73 de la loi précitée du 7 décembre 2020 a ajouté que la demande pouvait être formulée par « toute personne agissant dans l’intérêt et pour le compte de celle-ci ». Cette précision vise notamment à tenir compte des situations dans lesquelles la personne qui y a normalement son domicile est absente de manière temporaire ou prolongée, par
exemple lorsque la personne est hospitalisée ou en résidence spécialisée.
Cette demande est subordonnée à trois conditions :
Un dépôt de plainte préalable : celui-ci doit permettre de qualifier les éléments de fond permettant de caractériser les faits relevant du champ d’application de l’article 38 de la loi DALO. À cet égard, il est nécessaire que, nonobstant le fait que d’autres infractions puissent être prioritairement envisagées, les éléments constitutifs permettant de caractériser les délits de l’article 226-4 du code pénal figurent bien dans le procès-verbal de recueil de la plainte ;
La preuve que le logement occupé illicitement constitue le domicile du demandeur ou de la personne pour le compte de laquelle il agit : il convient à cet égard de ne pas faire preuve d’un formalisme excessif et d’accueillir toute pièce pertinente, en tenant compte, le cas échéant, de la circonstance que des preuves peuvent se trouver dans le bien occupé. En outre, lorsque la demande est présentée par un tiers, celui-ci doit établir le titre l’habilitant à agir dans l’intérêt et pour le compte de la personne dont le domicile est occupé ;
Le constat de l’occupation illicite par un officier de police judiciaire : à ce titre, le délit de maintien dans le domicile d’autrui à la suite d’une introduction frauduleuse, prévu à l’article 226-4 du code pénal, constitue une infraction continue conformément à la rédaction issue de la loi n° 2015-714 du 24 juin 2015 tendant à préciser l’infraction de violation de domicile. Il n’existe donc aucun obstacle juridique à ce que ce constat soit effectué dans le cadre d’une enquête de flagrance.
2. Les modalités de mise en œuvre de la procédure administrative d’expulsion
2.1. Délais de la procédure
L’article 73 de la loi précitée du 7 décembre 2020 a notamment pour objet de permettre l’accélération de la procédure administrative d’évacuation forcée. Dans ce contexte, il convient d’instruire avec diligence ces demandes.
À cet effet, l’instruction des demandes ne doit pas dépasser le délai impératif de 48 heures fixé par le deuxième alinéa de l’article 38 de la loi DALO à compter de la réception de celles-ci. Il vous appartient de prendre les mesures nécessaires permettant de déterminer le point de départ de ces demandes en procédant notamment à leur horodatage dès réception. Par ailleurs, le sursis aux mesures d’expulsion instauré par l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution (« trêve hivernale ») n’est applicable qu’aux décisions de justice ordonnant l’expulsion d’un locataire. Les situations qui justifient une évacuation forcée sur le fondement de l’article 38 de la loi DALO n’entrent pas dans ce cadre et ne justifient donc pas qu’il soit sursis à cette évacuation durant cette période.
2.2. Instruction de la demande
La nouvelle rédaction de l’article 38 de la loi DALO confirme que le préfet est en compétence liée pour répondre à la demande qui lui est présentée sur le fondement de cette disposition, sa décision devant intervenir sous 48 heures à compter de la réception de la demande. Dans ce contexte, il convient d’instruire avec diligence ces demandes.
Par ailleurs, la loi précise qu’une décision de refus ne peut être motivée que par l’un des deux motifs suivants :
la méconnaissance des conditions prévues au premier alinéa de l’article 38 (rappelées au point 1 de la présente note). La charge de la preuve incombe au demandeur, mais l’appréciation des éléments de preuve doit tenir compte des conditions dans lesquelles le dossier a été constitué (impossibilité d’accéder à son domicile notamment) ;
l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général : ainsi qu’il résulte des termes mêmes de la loi, cette exception doit faire l’objet d’une interprétation stricte.
La décision de refus doit être motivée et communiquée sans délai au demandeur. Outre les mentions obligatoires quant aux voies et délais de recours, vous y rappellerez la possibilité d’engager une procédure d’expulsion auprès du tribunal judiciaire, le cas échéant en référé et veillerez à accompagner de manière adaptée les personnes concernées, notamment en rendant possible le concours de la force publique, une fois la décision d’expulsion prononcée par
l’autorité judiciaire.
2.3. Mise en demeure de l’occupant et évacuation du logement
Lorsqu’il apparaît, à l’issue de l’instruction, qu’une suite favorable peut être accordée à la demande d’évacuation forcée, et en tout état de cause au plus tard au terme du délai de 48 heures, une mise en demeure de quitter les lieux doit être adressée aux occupants. Dans la mesure où l’occupation illicite a été constatée par un officier de police judiciaire, l’identité de ces derniers doit avoir été recueillie à cette occasion. La mise en demeure est également publiée sous forme d’affichage en mairie et sur les lieux. Il est recommandé de la notifier en outre à l’auteur de la demande.
Cette mise en demeure de quitter les lieux doit être assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à 24 heures, à l’issue duquel il peut être procédé à l’exécution forcée.
Enfin, conformément aux précisions apportées par le Parlement et sauf circonstances exceptionnelles, l’évacuation doit avoir lieu dès la fin du délai de mise en demeure, sans délai complémentaire, sauf opposition du demandeur dans ledit délai.
3. Coordination de l’ensemble des services concernés
L’efficacité de cette procédure et le respect des délais fixés par la loi implique une coordination entre l’ensemble des administrations, et en particuliers les services de l’État et les parquets.
Le refus du préfet de mettre en œuvre la procédure d’évacuation forcée pouvant tenir à l’existence de motifs impérieux d’intérêt général, vous veillerez à établir un diagnostic de la situation des occupants afin de pouvoir déterminer si de tels motifs font obstacle à une telle procédure.
En outre, nonobstant l’inapplicabilité de la trêve hivernale aux évacuations forcées prononcées sur le fondement de l’article 38 de la loi DALO, il est nécessaire que vous puissiez évaluer les possibilités d’hébergement ou de relogement des personnes concernées, notamment lorsque sont concernés des publics vulnérables, et plus particulièrement des mineurs. La recherche d’une telle solution pourra notamment justifier du choix du délai d’exécution fixé dans la mise en demeure, sans toutefois faire obstacle à l’évacuation effective des lieux dans un délai raisonnable compatible avec l’impératif de permettre aux victimes de reprendre possession de leur domicile. Enfin, l’évacuation effective des lieux ne saurait faire obstacle à l’engagement de poursuites pénales.
4. Dispositif de suivi
Afin de permettre le suivi et l’évaluation de l’efficacité de cette procédure, vous tiendrez un tableau de bord des saisines qui vous ont été adressées sur le fondement de l’article 38 de la loi DALO, comportant le sens de la réponse apportée, le délai de traitement et le délai constaté entre la saisine et l’évacuation effective des lieux, en précisant son caractère forcé ou volontaire. Ce tableau de bord sera adressé chaque année, au plus tard le 31 janvier de l’année suivante, à la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages.
La direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (sous-direction de la législation de l’habitat et des organismes constructeurs), la direction des affaires civiles et du sceau et la direction des libertés publiques et des affaires juridiques se tiennent à votre disposition pour toute interrogation relative à la mise en œuvre de ces dispositions. Vous les informerez de toute difficulté rencontrée